Après tant d'années, te revoilà enfin ? { Kieran

Cela faisait des années – presqu’une décennie – que j’avais suivi mon père en Europe et donc quitté Los Angeles. A l’époque je croyais bêtement que la belle Anna allait se joindre à nous. Je l’avais attendu à la gare, mais la blonde de mon cœur n’était jamais venue. Elle m’avait posé un horrible lapin. J’étais donc parti avec le cœur brisé. Je n’avais pas compris son choix alors que pourtant elle semblait partante à la base. J’avais bien sûr essayé de la contacter par la suite, mais je n’avais obtenu aucune réponse de sa part. Puis, comme me l’avait conseillé mon paternel, j’avais carrément coupé les ponts en changeant de numéro. Sur le coup, étant vraiment blessé, j’avais pensé que c’était le mieux à faire, mais je l’avais vite regretté. Surtout que comme un idiot j’avais changé ma carte sim Américaine avec dedans le numéro de la jeune Dickens que je n’avais pas pris la peine de récupérer.

Comme j’allais de plus en plus en mal, ne parvenant pas à oublier ma meilleure amie dont j’étais tombé amoureux, on se prenait souvent la tête avec mon géniteur. Celui-ci trouvait que j’exagérais, sans compter que selon lui je n’étais pas assez performant dans mon travail à cause de ma peine de cœur absurde comme il la qualifiait. Je n’étais pas d’accord avec lui, mais bien sûr il n’en avait rien à faire puisque seul son avis comptait. Dans un premier temps, j’avais essayé de me focaliser sur mon boulot. De toute façon je n’avais pas le choix, car ayant un poste dans l’entreprise de mon père, je l’avais constamment sur le dos. En parallèle, j’avais tenté d’oublier l’élue de mon cœur dans les bras de plusieurs autres femmes au fil des ans – la plupart m’avaient été fortement recommandées par mon paternel – car elles étaient des bons partis selon lui, même si c’était surtout parce que ça l’arrangeait dans ses affaires.

Plus le temps passait et plus j’avais l’impression de n’être qu’un simple pantin aux yeux de mon paternel. En effet, j’avais la sensation désagréable qu’il se servait de moi pour obtenir de nouveaux contrats juteux en me faisant sortir avec ces femmes. Pire que tout, je me voyais comme un objet sexuel pour elles. Chaque jour ça me rendait de plus en plus malade, jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Le point de non-retour étant atteint j’avais fait parvenir ma démission à mon père qui bien évidemment n’avait pas apprécié et avait pété un bon gros câble. Il soupçonnait même mon ancienne amie d’avoir réussi à reprendre contact avec moi. Visiblement il ne tenait pas à ce qu’on renoue elle et moi. Du moins, c’était ce que j’en avais déduit puisque subitement il m’avait parlé d’elle, ce qui sortait vraiment de nulle part. C’est là que la dispute fut plus intense étant donné que je ne comprenais pas pourquoi il ne semblait pas la porter dans son cœur. OK, j’avais souffert qu’elle ne soit pas venue avec nous, mais j’avais comme le sentiment qu’il y avait plus que ça. De plus, je n’aimais absolument pas qu’il se montre dédaigneux vis-à-vis d'elle. Pourquoi avait-il l’air de la mépriser ? Serait-ce juste parce qu’elle m’avait brisé le cœur ? Non, je n’y croyais pas.

J’avais donc fini par claquer la porte. Ça faisait trop longtemps que les relations avec mon patriarche étaient tendues. Déjà avant même de quitter les Etats-Unis, il y avait de l’eau dans le gaz entre nous, mais ça n’avait fait que s’empirer au fil des ans. Pourtant pendant plusieurs années j’avais pris sur moi et étais resté auprès de lui. Sauf que là je voulais mettre le plus de distance possible entre nous. Voilà pourquoi depuis un an environ j’étais retourné vivre à L.A. Bien sûr, c’était prendre le risque qu’il me retrouve et veuille me faire revenir avec lui en Europe, mais jusqu’ici ça n’avait pas été le cas fort heureusement. Cette dernière année qui s’était écoulée, j’avais décidé de changer totalement de voie professionnelle. Ayant toujours aimé prendre des photos de diverses choses – j’en avais des tas d’Anna et même de nous deux que je n’avais guère pu me résoudre à jeter et qui étaient dans des albums que je gardais toujours avec moi – ça m’avait paru être une bonne idée de me lancer en tant que photographe. Je m’étais donc renseigné et avec de l’aide j’avais monté un site web pour proposer mes services. Ensuite, j’avais fait ma pub sur les réseaux sociaux et sur internet. Au fil des mois j’avais réussi à me faire une petite place dans ce domaine, si bien que j’avais même plusieurs books qui contenaient mon travail.

Il y a quelques jours de cela, une agence d’évènementiel m’avait contacté et proposé – si mon profil convenait bien sûr – d’utiliser mes talents lors d’un gros mariage. J’avais donc échangé par mail avec une certaine Madame Marshall qui m’avait demandé de venir la rencontrer directement chez ses clients afin de me faire passer un entretien d’embauche. Je m’étais donc préparé et n’avait pas oublié de prendre plusieurs de mes books afin de lui montrer ce que je savais faire.

Comme convenu je m’étais rendu à l’adresse qui m’avait été communiquée, à savoir chez Monsieur Curtis le futur marié. J’étais arrivé un peu en avance, mais je préférais ça que d’être en retard et de renvoyer une mauvaise image de moi. J’avais sonné à la porte de la sublime demeure. Quelques instants plus tard un homme de couleur vint m’ouvrir. « Bonjour. Je suis Kieran O’Brien, photographe. Une dame de l’agence qui se charge de l’organisation du mariage m’a demandé de passer directement ici. » « Bonjour Monsieur O’Brien. Je suis Monsieur Curtis. Suivez-moi. » M’indiqua le futur époux en souriant. Comme j’y avais été invité, j’entrai dans la maison. En cours de route, alors qu’on passait dans le salon, je shootai sans le faire exprès dans une peluche. Lorsque je m’en rendis compte, je m’arrêtai et me baissai pour la ramasser. C’est à ce moment-là que je vis un petit bonhomme qui devait avoir environ dix ans selon l’estimation que je m’en faisais. « Oh ! Bonjour ! J’imagine que ce Yoda est à toi. » Dis-je en souriant à ce garçon à lunettes. Sauf qu’il eut une réaction qui me surprit. Au lieu de récupérer ce qui devait lui appartenir, il partit en courant. Le propriétaire dut remarquer ma stupeur puisqu’il se mit à rire. « C’est le fils de l’organisatrice. Il doit être parti la voir. » « Ah d’accord. » Dis-je en me redressant. Je recommençai à suivre l’hôte des lieux qui me conduisit donc jusqu’à une femme blonde que je voyais de dos pour l’instant. Le garçonnet s’accrochait à ses jambes. En arrivant non loin, je souris à ce dernier. « Attrape ! » Dis-je en lui lançant son jouet, me disant qu’il valait peut-être mieux que je me tienne à distance s’il avait peur de moi. L’autre homme prit la parole tandis que je serrais mes books contre moi. « Madame, le photographe avec qui vous avez rendez-vous est arrivé. » A ce moment-là, lorsqu’elle se retourna je pus enfin voir le visage de la femme qui m’attendait et qui était également la mère de l’enfant. Je reconnaîtrais cette bouille d’ange entre mille. Il s’agissait à coup sûr d’Anna, celle que je considérais comme la femme de ma vie, celle pour qui mon cœur n’avait jamais cessé de battre – qui cognait fort dans ma poitrine actuellement – et à qui il était réservé même si nous ne nous étions pas revus ni reparlé depuis courant 2013. « Anna. » Prononçai-je doucement, sortant ainsi du silence malgré le choc de l’avoir en face de moi alors que je ne m’étais absolument pas attendu à ça en venant ici.  

Après avoir quitté mon logement, j’avais filé directement au lieu de rendez-vous qu’on m’avait indiqué par mail quelques jours plus tôt. Sur place, ce fut le futur époux qui m’ouvrit la porte. En pénétrant dans la maison, j’eus tout le loisir de découvrir que la famille ne devait pas manquer de moyens. En même temps, c’est vrai que déjà de l’extérieur leur demeure avait fière allure. Le maître des lieux m’escorta jusque dans le jardin. En chemin, on avait croisé un petit garçon qui avait pris peur lorsque je m’étais adressé à lui. Pourtant, je n’avais rien fait de mal je l’avais juste salué poliment tout en voulant lui rendre sa peluche. Je ne comprenais donc pas sa réaction, surtout qu’étant parrain de la fille d’une bonne amie, j’adore les enfants. De plus, je ne pense pas être si impressionnant que ça, mais passons.

Une fois dehors, j’envoyai tout de même le Yoda à son propriétaire qui le rattrapa habilement, ce qui me fit sourire. Étrangement, en regardant le garçonnet plus en détail, j’avais l’impression que ce visage m’était comme familier. En effet, il me rappelait moi au même âge, à la différence que je ne portais pas de lunettes à l’époque. Désormais, j’en mets quand je suis sur ordinateur afin de palier à la fatigue visuelle, mais sinon en dehors de ça, je n’en ai pas besoin. J’étais tellement perdu dans mes pensées, que je n’avais pas prêté attention à la voix de sa mère que j’aurais dû reconnaître si je l’avais bien écoutée. Lorsqu’elle se retourna pour me faire face, mon cœur s’emballa. A tel point que je n’avais pas particulièrement fait gaffe à ce qu’elle était en train de dire au couple. Quant à moi, tout ce que j’avais réussi à faire sortir de ma bouche c’était son prénom.

L’effet de surprise légèrement estompé, je songeai au fait que je m'étais montré quelque peu impoli. « Bonjour Mesdames. » Mon regard dévia et se posa sur la future madame Curtis qui s’interrogeait. Je n’eus toutefois pas à lui répondre puisque la blondinette s’en chargea à ma place. Je n’en revenais pas qu’elle me qualifie de vieille connaissance. C’était donc à ça que se résumait l’amitié qu’on avait partagé durant toutes ces années et le début de notre histoire d’amour ? Ca me fichait un sacré coup de réaliser qu’elle minimisait de la sorte notre passé commun. Apparemment, j’avais dû être le seul à ressentir des choses fortes à l’époque et même encore maintenant… On m’aurait balancé un seau d’eau glacée en pleine figure, ça aurait eu un effet similaire. Voilà comment je me sentais présentement. « J’ai fait une reconversion professionnelle… » Répondis-je simplement pour expliquer le fait que je sois photographe désormais. Voilà qu’elle se mettait à me vouvoyer, ce qui me perturbait encore plus. À quoi était-elle en train de jouer ? Je n’en avais aucune idée, mais j’avais cette sensation qu’elle me tenait à distance en s’exprimant de cette manière. Mais, de toute façon, ce n’était pas comme si j’allais pouvoir avoir une explication alors qu’on était en présence de deux étrangers ainsi que d’un petit bonhomme qui s’accrochait à sa mère. « Oui. J’en ai pris plusieurs afin de VOUS montrer l’étendue de mes capacités. » J’avais bien insisté sur le "vous" pour monter que le sien ne m’avait pas échappé. Je me sentais paumé, mais je tâchais de faire au mieux pour le cacher, ne voulant rien laisser transparaître alors qu’on n’était pas seuls.

Je tentais de faire taire les pensées qui étaient en train de m’assaillir de toutes parts. Nerveusement, je me râclai la gorge avant de décroiser mes bras et de me rapprocher de monsieur Curtis et de sa compagne, me plaçant entre eux et Anna. J’ouvris le premier book et tournai lentement les pages afin qu’ils puissent prendre le temps de regarder les ébauches de mon travail. « Vous pourrez remarquer que je fais un peu de tout. » Eh oui, je pouvais aussi bien photographier des paysages que des animaux. Sans oublier les portraits familiaux ou solos, mais il m’arrivait également de faire des clichés lors de divers évènements. « J’ai préféré ne pas me focaliser sur une seule spécialité, aimant prendre des photos de toutes sortes. » Indiquai-je afin qu’ils ne soient pas étonnés qu’il y ait différentes choses. « Est-ce que ça vous dérange si on feuillette l’autre album pendant que vous continuez à montrer celui-ci à l’organisatrice de mariage ? » Me demanda la dame. Je secouai la tête en souriant et lui tendis le second portfolio. « Non, allez-y. » Dis-je en regardant les amoureux, ne me préoccupant pas de ce qu'en penserait la jolie blonde. Puis, je me tournai vers mon ancienne amie, de qui je me rapprochai afin qu’elle puisse mieux voir mes œuvres. « Vous avez un don certain monsieur O’Brien. » Commenta l’autre homme. Mon regard se reporta sur lui ainsi que sa fiancée. Celle-ci approuva d’un signe de tête, ce qui me fit sourire. « Merci, je suis content que ça vous plaise. » Répondis-je vraiment content du compliment qu’on venait de me faire. Surtout qu’étant dans le métier depuis un peu moins d’un an, il m’arrivait fréquemment de douter de mes talents.

C’était trop bizarre d’avoir en face de moi mon ancienne meilleure amie pour qui j’ai toujours des sentiments d’ailleurs. En effet, je n’avais pas imaginé une seule seconde en venant ici que j’allais tomber sur elle. Tout comme je ne m’attendais pas à ce qu’elle se montre si froide à mon égard. Surtout que je ne voyais pas ce que j’avais pu faire de mal pour mériter ça. Après tout, c’était elle qui ne m’avait pas rejoint à la gare à l’époque et m’avait par conséquent brisé le cœur. Mais bref, il fallait que je reste focus sur ce que j’étais venu faire de base. « Disons que c’est pas la même sorte de stress. » Déjà, parce que je n’avais plus mon père sur mon dos et qu’il ne m’aurait plus m’utiliser pour décrocher des contrats juteux. Et puis, là j’aimais vraiment mon nouveau travail, ce n’était donc pas comme l’ancien que je n’appréciais pas du tout. Heureusement que j’avais fini par envoyer promener mon paternel et que j’avais changé de voie professionnelle et repris ma vie en main également.

J’avais du mal à rester concentré sur le but du rendez-vous tellement ça me perturbait d’être en présence de la jolie blonde. C’était son comportement en fait qui me dérangeait, n’étant pas habitué à ce qu’elle me traite comme un parfait inconnu alors qu’on était si proches jadis. Je ne répondis rien lorsque Anna m’indiqua que j’avais bien fait d’apporter avec moi des books. Je n’allais tout de même pas venir les mains vides à un entretien d’embauche, ça n'aurait pas été très professionnel de ma part. Je montrai donc aux autres personnes les clichés que j’avais pu prendre lors de diverses occasions. J’étais ravi que le couple aime mes photographies. Apparemment, la blondinette semblait penser comme les Curtis, ce qui me fit chaud au cœur, même si ça me surprenait un peu vu comment elle agissait avec moi depuis mon arrivée. « Merci. » Soufflai-je doucement. Un grand sourire s’installa sur mon visage quand le garçonnet sortit que j’étais gentil. À la fin de son intervention, je ne pus m’empêcher de lâcher un petit rire. Mon sourire se fit encore plus suite au commentaire de la maman. « Merci beaucoup. Vos compliments me vont droit au cœur. » Dis-je en posant ma main exactement à cet endroit. Je tournai les yeux vers les fiancés afin de voir s’ils étaient d’accord avec l’organisatrice. « Merci de votre confiance. » Répondis-je à la future mariée. Je récupérai les portfolios en hochant la tête. « À tout à l’heure Madame, Monsieur. » Je les regardai s’éloigner et rentrer dans leur maison.

Quelques instants après, je reportai mon attention sur mon ex-copine qui envoya son enfant jouer plus loin. J’observais celui-ci qui était parti s'amuser tranquillement dans le fond du jardin puis je me tournai vers la jeune femme tout en serrant contre moi mes books. « De quoi souhaitez-vous parler ? » Demandai-je en continuant à la vouvoyer puisque c’était elle qui avait commencé avec ça. J’étais en tout cas curieux de savoir pourquoi elle avait tenu à ce qu’on soit seuls en cet instant et quel(s) sujet(s) elle voudrait aborder maintenant. Pour ma part, j’avais plein de questions en tête, mais je préférais attendre de voir comment ça allait se profiler avant de les poser.